UN CAS DE FORCE MAJEURE DANS LA CHAÎNE DES CONTRATS INTERNATIONAUX ?

LE CONTEXTE

D’un point de vue juridique, nous conseillons aux entreprises de soulever l’argument de la force majeure vis-à-vis de leurs partenaires contractuels avec prudence et précaution. L’appréciation de la justesse de ce motif se fait au cas par cas.
Aussi, chaque contrat concerné devrait être analysé individuellement : contrat de vente, contrat de service, etc.
Prenons comme exemple le cas, devenu aujourd’hui assez fréquent d’un industriel français ne recevant plus de livraisons de son fournisseur italien ou chinois et qui ne peut donc plus livrer ses propres clients.
Beaucoup d’entreprises françaises sont concernées par le Coronavirus car les mesures de quarantaine ralentissent ou interrompent les cycles de production notamment en provenance de Chine, ensuite d’Italie et maintenant de France.
Beaucoup de fournisseurs chinois invoquent la force majeure auprès de leurs clients. Comment doit-on réagir si des contrats ne peuvent plus être exécutés par les entreprises à cause d’une rupture d’approvisionnement causée par le Coronavirus ?

LE CORONAVIRUS : UN CAS DE FORCE MAJEURE EN DROIT FRANÇAIS ?

Certains contrats contiennent une clause de force majeure qui prévoit expressément la situation d’une épidémie. En l’absence d’une clause contractuelle, en droit français, l’article 1218 du code civil, modifié par Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 – art. 2 prévoit : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

LA SITUATION A L’INTERNATIONAL

Nous estimons qu’un arrêt de production et l’absence de fournitures provenant des sites en Chine, en Italie, en France ou ailleurs peuvent actuellement constituer un cas de force majeure.
Il existe des mesures nationales permettant de soutenir un tel argument. Par exemple, les administrations chinoises en charge du commerce extérieur ont délivré des certificats à des entreprises chinoises afin de pouvoir justifier qu’elles ne peuvent plus exécuter leurs contrats pour des raisons indépendantes de leur volonté et de leur contrôle.
En France, l’Etat français a d’abord déclaré début mars 2020 que le Coronavirus constituerait un cas de force majeure pour tous les marchés publics étatiques.
Par une loi du 23 mars 2020, entrée en vigueur le même jour, la France a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois, ordonnant un confinement strict de la population et l’arrêt de la plupart des activités. Bien qu’elle n’ait pas expressément ordonné la fermeture de toutes les usines, elle rend en pratique presque impossible le maintien d’activités industrielles normales en France pendant l’état d’urgence.
Une ordonnance a été prise le 25 mars 2020, dont son article 4 prévoit, s’agissant des clauses pénales contractuelles, que le retard d’exécution ne commencerait à courir qu’après l’expiration du délai de deux mois susmentionnés.
La situation peut être différente dans d’autres pays qui n’ont pas décrété un confinement strict provoquant des fermetures d’usines, ni la suspension des délais.
L’acceptation d’une situation de force majeure dépendra du droit finalement applicable.
Sur un plan juridique international, il n’existe pas d’harmonisation sur cette question.
Le Code Civil allemand par exemple ne mentionne pas la force majeure. Les pays de common law connaissent un concept différent : la « frustration ».
Seule exception d’un concept uniforme de la force majeure : pour des contrats de vente internationale, la Convention de Vienne qui s’applique dans 89 pays prévoit expressément une clause de force majeure dans son article 79.
Conformément à sa mission d’élaborer des outils pratiques pour aider les entreprises à travailler à l’international, la Chambre de Commerce Internationale (ICC) propose depuis 2003 une clause modèle den Force Majeure et Hardship que ces entreprises peuvent intégrer par simple référence dans leur contrat.
L’ICC recommande l’utilisation de cette clause ICC de Force Majeure dans tous les contrats internationaux, clause qui figure aussi dans tous les contrats modèles d’ICC. La dernière version 2020 est disponible sous le lien suivant :

ICC Force Majeure and Hardship Clauses

NOTRE ANALYSE PRATIQUE

Nous conseillons aux entreprises de vérifier leurs contrats. Si votre entreprise ne peut plus exécuter certains contrats avec ses clients pour les raisons indiquées ci-dessus, vous devrez vérifier si vos contrats prévoient une clause de force majeure et si cette clause est suffisamment large pour couvrir un tel cas.
En France, à défaut d’une clause contractuelle de force majeure, l’article 1218 du code civil s’applique et ses conditions doivent être vérifiées :
a) situation imprévisible
b) indépendante de votre contrôle
c) empêchement insurmontable
La partie qui invoque la force majeure a la charge de la preuve pour l’existence de ces trois conditions. Pour la situation actuelle en France, les conditions a) et b) semblent acquises pour tous les contrats conclus avant la prise d’effet des mesures en France.
Reste donc à prouver qu’il n’y a pas d’autres possibilités d’exécuter les obligations contractuelles.
Une analyse au cas par cas s’impose avant d’invoquer une exonération de responsabilité pour cas de force majeure dont la survenance ne mettra pas automatiquement fin à votre contrat et ne vous ne libèrera pas de toute obligation, notamment en termes de pénalités ou de dommages et intérêts.

CONSEQUENCE D’UN CAS DE FORCE MAJEURE

Il convient de noter qu’avant d’invoquer un cas de force majeure, l’entreprise a l’obligation d’avertir dans les meilleurs délais son co-contractant en indiquant l’événement qui empêche l’exécution et la durée prévisible de l’impossibilité d’exécution. Le défaut d’avertissement ou de notification risque de vous faire perdre le droit d’invoquer la force majeure.

CONSEILS PRATIQUES

Nous recommandons fortement aux entreprises d’évoquer clairement la situation avec leur client. N’oubliez pas d’en avertir aussi vos agents commerciaux et distributeurs. L’argument de la force majeure peut servir de base de négociation afin de trouver une solution acceptable pour les deux parties.
Nous vous conseillons de vérifier si vos contrats contiennent une clause de force majeure et d’analyser sa rédaction.
Pour tous les contrats futurs, ICC France conseille fortement l’utilisation de la clause ICC de Force Majeure qui reflète le standard international en la matière.

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Christoph Martin RADTKE Président Commission Droit et Pratiques du Commerce International d’ICC France Avocat Associé Fiducial Legal by Lamy christoph.martin.radtke@fiducial-legal.net